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Généalogie de la pureté

Photo Fabrice Leseigneur

Retrouver cet article dans En Magnum #36. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Columelle, agronome du Ie siècle, est-il le premier ampélographe de notre ère ? Le Romain déclare que la sagesse consiste « à conseiller de ne planter d’autres espèces de vignes que celles qui jouissent d’une juste réputation, de ne conserver que celles dont l’expérience aura confirmé les qualités […] si le pays est situé dans des conditions telles qu’elles engagent à planter des vignes de renom. Là où il n’y a rien ou peu de chose qui dicte cette détermination, il vaut mieux rechercher la fécondité ».
Ainsi, il y a deux mille ans, dès la naissance de l’ampélographie, la question se pose déjà des aptitudes des cépages, de leur adéquation au terroir et de leurs conséquences techniques et commerciales. Faut-il opter pour une production de qualité ? Ou faire le choix d’une production importante ? De nombreuses pages du livre III de son traité De re rustica sont consacrées à la description des divers cépages et de leurs caractères vitivinicoles. Parmi ceux qu’il évoque, on trouve les biturica, « des vignes qui, bien que de seconde classe, sont recommandables aussi par leur production et leur fécondité » et les allobrogicae qui « ne donnent plus hors de leur patrie qu’un vin sans agrément ». Il est possible que les premiers soient les ancêtres des cépages bordelais et les seconds des bourguignons.

Les choix du passé
À propos des Vitis allobrogica, Columelle signale que certains cépages autochtones semblent particulièrement bien adaptés aux conditions qui prévalent localement. Qu’est-ce qu’un cépage autochtone ? Il s’agit d’un cépage qui provient du lieu où il est cultivé. Or, comment attester de cette origine et la dater ? Columelle ne répond pas à ces questions. Il faut se référer à quelques auteurs du XIXe siècle qui donnent une vision de la situation préphylloxérique et attestent de la présence de cépages patrimoniaux dont ils décrivent les qualités. Victor Rendu est l’un d’entre eux. On le connaît pour Ampélographie française (éditions de 1854 et 1857). À propos des cépages qui font les vins blancs de la Gironde, il précise que « la culture des vignes blanches est à peu près la même dans toute l’étendue des Graves […]. Le sémillon et le sauvignon, mêlés à quelque peu de muscadelle, sont les seuls cépages employés ». Il ajoute que le sémillon occupe les deux tiers des terrains. À la même époque, William Franck, référence dans l’histoire récente de l’œnologie bordelaise, recense une dizaine de cépages blancs en Gironde, au premier rang desquels se retrouvent sauvignon, sémillon et muscadelle, accompagnés de quelques autres plants d’intérêt comme le prueras, le rocholin, ou encore le blanc verdot.

Les modes d’aujourd’hui
Le phylloxera, les règlementations en matière d’encépagement liées aux appellations d’origine contrôlée, l’évolution et les diktats des marché ont sans doute contribué à modifier la situation de l’encépagement du Bordelais. Le sémillon n’y est plus majoritaire. En 2020, il représentait seulement 31 % de l’encépagement contre 54 % pour le sauvignon blanc, 7 % pour la muscadelle, 4 % pour le sauvignon gris et 4 % pour tous les autres. Une situation relativement récente puisqu’en 1958, Bordeaux comptait encore 25 000 hectares de sémillon pour 3 000 de sauvignon. Ce que nous observons à l’échelle de l’encépagement des blancs bordelais est également vrai au niveau national. Jean-Michel Boursiquot, éminent spécialiste en matière d’ampélographie, constate qu’en 1958 les vingt variétés (rouges et blanches) les plus cultivées dans le monde représentaient 53 % du vignoble, tous cépages confondus. Cette proportion atteignait 88 % en 2008. Vingt variétés parmi plusieurs milliers.
Dans les années 1950, Bordeaux produit, en volume, majoritairement des vins blancs. Quels facteurs ont contribué à expliquer la situation actuelle ? Crise économique, perte d’intérêt pour les vins blancs, début d’un profond désamour des consommateurs pour les vins liquoreux (où brille le sémillon, même s’il est utilement complété par du sauvignon blanc) : le vignoble n’est plus adapté. Il y a trois siècles, le philosophe Montesquieu, alors vigneron bordelais, avait lancé cet avertissement : « La Guyenne doit fournir à l’étranger différentes sortes de vins, dépendantes de la diversité de ses terroirs. Or, le goût des étrangers varie continuellement, et à tel point qu’il n’y a pas une seule espèce de vin qui fût à la mode il y a vingt ans qui le soit encore aujourd’hui ; au lieu que les vins qui étaient pour lors au rebut sont à présent très estimés. Il faut donc suivre ce goût inconstant, planter ou arracher en conformité ». En même temps qu’ils se désintéressent des vins liquoreux, les consommateurs plébiscitent les vins blancs secs, acidulés et aromatiques. Le sauvignon blanc tire son épingle du jeu. Trop, peut-être.

Fucking sauvignon
Le succès moderne du cépage est un exemple assez unique d’un moment de concordance spectaculaire entre attentes des consommateurs (moins de sucres résiduels, plus de vivacité et d’immédiateté des arômes), exigences commerciales et avancées scientifiques en matière de recherche œnologique et agronomique. L’arôme du sauvignon est longtemps resté mystérieux et sans doute l’est-il encore en partie. En 1998, à Bordeaux, Takatoshi Tominaga soutient une thèse de doctorat dans laquelle il met en évidence l’importance des thiols dans les arômes du sauvignon blanc. Il démontre, en outre, l’origine variétale de leurs précurseurs inodores et le rôle déterminant des levures fermentaires dans la révélation de ces arômes. Rapidement, l’approche agronomique vise à accumuler ces précurseurs aromatiques. S’ensuit une déferlante de vins blancs secs aux arômes caricaturaux dont la dominante tient parfois plus de l’asperge que du fruit exotique. À Sancerre, l’expression du sauvignon blanc est le plus souvent bien différente : alors qu’il y a des thiols dans le sauvignon, ils s’expriment différemment dans les deux vignobles. Démonstration magistrale des effets du sol, du climat et de l’homme avec ses choix tant viticoles qu’œnologiques. Oui, ce fameux terroir ! Bordeaux, à quelques fâcheuses exceptions près, a retrouvé plus de raison. On trouve dans ce vignoble de plus en plus de beaux sauvignons, mais aussi de superbes blancs secs issus de l’association de sémillon (majoritaire) et de sauvignon blanc. Cet assemblage sémillon-sauvignon, dans cet ordre de proportion, n’est pas qu’un reliquat du passé.

Les tendances de demain
Quant au futur, on peut éventuellement s’en faire une idée avec le projet de création d’une appellation d’origine contrôlée pour les vins blancs du Médoc. En effet, le cahier des charges proposé par l’organisme de défense et de gestion (ODG) de l’appellation prévoit d’intégrer des cépages principaux traditionnels (sauvignon blanc et gris, muscadelle, sémillon), des cépages accessoires (chenin, viognier, chardonnay et gros manseng) dont le total ne devra pas excéder 15 % de l’encépagement et de l’assemblage, ainsi que des variétés d’intérêt à fin d’adaptation (Vifa) comme le floréal, le sauvignac, le souvignier gris, l’alvarinho et le liliorila, dans la limite de 5 % de l’encépagement et de l’assemblage. On trouve par ailleurs à Bordeaux des chardonnays (et quelques rieslings) qui font parler d’eux, en bien. On pourra néanmoins regretter que le cahier des charges de cette future appellation qui tente de préserver le passé en s’adaptant au présent et en préparant l’avenir ne prévoie pas le retour de cépages autochtones oubliés. Certes, aux dires de leurs contemporains qui ont cherché à élaborer des vins de qualité avec ces cépages, on a bien fait de les oublier. Néanmoins certains de ces disparus pourraient peut-être, dans les conditions agronomiques et économiques actuelles, faire preuve d’un regain d’intérêt. Quoi qu’il en soit, la pertinence des orientations en matière de cépages de ce cahier des charges devrait se démontrer et non se décréter.

Les défauts de l’authenticité
Quels que soient les cépages et les terroirs, un choix ad hoc suffit-il à garantir l’obtention d’un vin de qualité ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, la mode est à l’authenticité. Ce qui, en matière de vins, peut se traduire par le retour aux terroirs et aux cépages oubliés, mais aussi par l’abandon de la chimie. Au chai, la première victime de cette injonction est le soufre qui donne les fameux sulfites. Bien sûr, il y a eu des abus à leur propos, en particulier dans les blancs bordelais. Qui a goûté une fois dans sa vie un piètre liquoreux muté aux sulfites en garde fatalement un souvenir aussi précis que douloureux. Le soufre a, pour les vins blancs, un rôle essentiel : protéger de l’oxydation ainsi que des micro-organismes. Il remplit cette mission encore mieux si le vin est acide. Or, les vins le sont de moins en moins et les doses de soufre sont en constante diminution, voire inexistantes. À quoi bon revenir aux cépages oubliés si c’est pour laisser les vins en proie à l’oxydation prématurée ou aux goûts de souris ? Ces faux goûts et ces déviances participent-ils à la juste expression des relations entre le cépage, le terroir et les usages loyaux et constants, quels qu’ils soient ?
Rappelons-le : le goût de souris est un défaut majeur, d’origine microbiologique, et un masque absolu du vin. Le vieillissement prématuré des vins blancs entraîne quant à lui pertes de fraîcheur et de typicité. Il est lié à une oxydation prématurée – le soufre est un anti-oxydant, mais ce n’est pas le seul. Elle dépend des caractéristiques du vin, différentes selon la climatologie du millésime et les choix ou non-choix d’itinéraire technique déterminants dans la constitution du potentiel antioxydant des vins. Si l’oxygène est indispensable à notre vie, il l’est aussi à la qualité et la tenue des vins. Il en faut, ni trop ni trop peu. Au premier rang des antioxydants naturels on trouve l’élevage sur lies (et le glutathion, cher à Denis Dubourdieu). La maturité aromatique varie selon les caractéristiques de chaque cépage et les conditions du millésime. Au vu du contexte climatique défavorable aux acidités des vins et au regard des évolutions du goût des consommateurs, il est sans doute urgent d’étudier une notion de « maturité antioxydante ». L’association des cépages et des terroirs permet la naissance de vins dont arômes et saveurs signent l’origine et la qualité, de façon durable et identifiable par les consommateurs avertis. L’humanité a acquis et perpétué ces savoir-faire, ne les abandonnons pas.

Le rosé entre en scène

Photo Fabrice Leseigneur

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Château de Pibarnon, Nuances 2020, bandol
Installé sur les hauteurs de Bandol, Éric de Saint Victor a fait du mourvèdre la signature du château de Pibarnon. Les vignes forment un sublime amphithéâtre regardant la Méditerranée. Les 52 hectares nichés entre vallons et restanques célèbrent ce cépage civilisé, voué au temps et à la grande expression. Ce rosé 2020 né sur une seule parcelle tardive a été élevé en partie en foudre de 30 hectolitres pour lui apporter l’oxygène nécessaire et en jarre de grès neutre pour lui donner de l’éclat, de la tension et de la pureté. Exquis et coloré, taillé pour la gastronomie, il offre des notes de fruits rouges, de fruits des bois, complétées par une pointe d’agrume au nez. La bouche est ample, fine et savoureuse, superbe d’expression.
33 euros
 
Domaine de Terrebrune 2023, bandol

Le terroir très particulier de Terrebrune lui a toujours donné une aura particulière au sein de l’appellation bandol. Avec ses sols argilo-calcaires rouges du Trias, le goût de son vin affiche une personnalité unique, marquée par une grande tension en bouche et des notes minérales. Assemblage issu d’une sélection stricte de mourvèdre, de grenache et de cinsault, c’est avec un peu de garde, parfois même plus de dix ans, que ce grand rosé révèle tout son génie, mêlant avec beaucoup d’élégance des notes finement empyreumatiques avec des arômes fruités plein de distinction.
23 euros

Château de La Grille 2023, chinon
Les chinons rosés sont une rareté en soi. S’il est vrai que le cabernet franc n’est pas toujours le cépage le plus adapté en matière de rosé, celui-ci trouve entre les mains expérimentées et talentueuses de Jean-Martin Dutour et de Christophe Baudry, qui veillent sur la propriété, une expression gourmande et généreuse, à la fois expressive et très compréhensible. C’est un rosé un peu à part dans l’univers de la couleur et il plaira à coup sûr à l’amateur pointu par sa personnalité.
12 euros

Château Bas 2023, coteaux-d’aix-en-provence
On aurait tort de ne pas s’intéresser à cette belle propriété située au cœur de l’appellation coteaux-d’aix-en-provence. Elle appartient à la famille Castéja, incontournable à Bordeaux pour ses grands crus classés et pour ses activités de négociant. Le lieu, magique et caché, produit des vins de belle facture, toujours irréprochables et de plus en plus définis sur le plan aromatique. Ce rosé sur la finesse confirme cette tendance et invite à s’intéresser de près à l’ensemble de la production, dans les trois couleurs. Très bon rapport qualité-prix.
12 euros

Roseblood d’Estoublon 2023, côteaux-varois-en-provence
Créer des marques de vin rosé fortes est devenue une spécialité des plus beaux domaines en Provence. Ce n’est pourtant pas si simple et y parvenir demande de s’appuyer sur une histoire solide, une expertise irréprochable et un vrai talent en matière de distribution. Le château d’Estoublon réunissait ces trois qualités avant de se lancer à la conquête de nouveaux horizons avec son rosé Roseblood. Il revendique pour la première fois l’appellation coteaux-varois-en-provence, avec un vin affirmé, toujours aussi facile et agréable à boire en raison de sa bonne fraîcheur et de ses arômes fin et précis.
17,50 euros

Domaine Tariquet, Contradiction 2023, IGP côtes-de-gascogne
Nous raconterons bientôt à quel point la famille Grassa, propriétaire du domaine Tariquet depuis 1912, a réalisé de grades choses pour la filière des vins et des spiritueux en France, en particulier dans le Sud-Ouest. En attendant, nous avons pris beaucoup de plaisir à déguster ce rosé étonnant élaboré à partir de marselan, cépage encore assez méconnu qui résulte d’un croisement entre cabernet-sauvignon et grenache noir. Rare en version rosé, il donne un vin à la robe soutenue, fruité et expressif, avec des touches intenses de poivre. Structuré en bouche par un petit tannin sans rusticité, il accompagnera bien quelques grillades au feu de bois. Parfait pour l’été.
9 euros

Amista 2023, côtes-de-provence
En occitan, amista veut dire amitié. Un jour, Ariane de Rothschild et Valérie Rousselle, amies dans la vie, ont eu l’idée de créer un rosé. Elaboré sur le terroir du château Roubine, cru classé parmi les plus célèbre de Provence, ce vin de belle facture issu de vignes conduites en agriculture biologique séduit par son premier nez intense, sur les notes de pêches blanches et d’agrumes. L’amateur qui envisage de le servir tout au long du repas appréciera sa tension en bouche et son élégance aromatique en retenue, qui permettra de l’accorder avec de nombreuses cuisines du soleil sans jamais les dominer.
22 euros

Caves d’Esclans, Whispering Angel 2023, côtes-de-provence
Mais comment Sacha Lichine a-t-il réussi à propulser ce rosé dans l’univers très fermé des marques de vins les plus performantes et reconnues dans le monde ? En plus d’une détermination de tous les instants pour installer une distribution de grande qualité, il s’est appuyé sur un grand savoir-faire en matière de vinification, avec pour seul objectif de proposer un vin toujours bien fait, constant et régulier d’une année sur l’autre, précis et élégant, facilement appréciable. Il n’existe pas de succès similaire et le vin continue de gagner en personnalité.
19,50 euros

Château Malherbe, Pointe du Diable 2023, côtes-de-provence
Le vignoble de 25 hectares, certifié Demeter depuis 2021, de ce domaine magnifiquement situé – c’est l’ancienne ferme du fort de Brégançon – se divise en deux grands ensembles. Une partie est située sur un coteau spectaculaire qui domine le littoral, l’autre longe la côte, située en contrebas, exposée au vents marins de la Méditerranée. C’est sur cette dernière que la famille Ferrari élabore ce rosé pâle et brillant, précis dans ses notes d’agrumes et de fruits blancs gourmands, qui se distingue par une finale subtile, minérale et saline. Il ne faut pas le servir trop frais pour profiter de sa complexité.
26,50 euros

Château Sainte-Roseline, Lampe de Méduse 2023, côtes-de-provence

Avec sa forme étonnante, facilement reconnaissable, ce rosé s’est imposé peu à peu comme le porte-étendard du château Sainte-Roseline, superbe propriété de la famille Bertin récompensée en 2021 du label Vignerons Engagés pour son implication en matière de RSE. Sélection stricte des meilleurs raisins du domaine, cette cuvée s’appuie sur un assemblage complexe qui réunit harmonieusement grenache, cinsault, tibouren, mourvèdre et syrah. Un peu de bâtonnage au moment de l’élevage sur lies en cuve lui donne ce gras en bouche particulier, prisé des amateurs de vins blancs. Elle n’oublie évidemment par d’afficher fraîcheur et élégance, les deux piliers des rosés de Provence.
17,90 euros

Clos de Caille 2023, côtes-de-provence
À peine plus de trente kilomètres séparent la Méditerranée de ce domaine situé à Entrecasteaux, remarquable par sa situation et par son histoire puisqu’il fut fondé par les moines cisterciens de l’abbaye du Thoronet en 1160. Assemblage complexe dominé par le grenache, ce beau rosé revendique une forte identité de terroir. Cela s’exprime par beaucoup d’intensité aromatique, de la profondeur en bouche, avec ce qu’il faut de gras pour accompagner sans mal une gastronomie de la mer. Il ne laisse pas indifférent.
27 euros

Domaine de l’Ile 2023, côtes-de-provence
L’île en question est celle de Porquerolles et le domaine une sorte de paradis niché au cœur de ce petit bout de terre bordé par la Méditerranée. Propriété de la famille Wertheimer, repris en main par des équipes techniques de grande qualité, ce vignoble historique donne des vins blancs et rosés délicats, capable de beaucoup de finesse et de tension. Porté par une note saline et une pointe d’amertume qui donne, ce rosé savoureux affiche une dimension verticale étonnante. Finale aérienne et subtile.
22 euros

Domaines Ott, Château de Selle 2023, côtes-de-provence
Situé à Taradeau, Selle fut la première propriété acquise par la famille Ott en Provence, au début du XXe siècle. Elle est rapidement le vaisseau amiral des activités de la famille dans ses deux autres domaines (Clos Mireille et château de Romassan). C’est Jean-François Ott qui a aujourd’hui la responsabilité de continuer cet héritage en maintenant le niveau de qualité de l’un des fers de lance du rosé en France et dans le monde. Ce 2023 témoigne d’ailleurs d’une certaine inflexion de style, vers davantage de vinosité et de texture, sans rien perdre de ce qui faisait le charme de ce rosé de terroir, délicatement fruité, minéral et de bonne longueur.
35 euros

M de Minuty 2023 (édition limitée), côtes-de-provence
La marque de rosé la plus célèbre de Provence a proposé à l’illustratrice et céramiste Henriette Arcelin d’imaginer un habillage pour son iconique cuvée M. L’artiste a choisi des motifs solaires et festifs qui ne sont pas sans rappeler, au fond, ce que l’on attend de ce rosé largement distribué. Une majorité de grenache dans l’assemblage lui donne des arômes complexes et une certaine suavité en bouche. Rond et croquant, il ne se départit cependant jamais de cet attribut qui a fait son succès, à savoir cette vivacité remarquable qui lui donne une grande buvabilité. En bref, c’est une définition du rosé d’apéritif.
16 euros

Figuière, Confidentielle 2022, côtes-de-provence La Londe
Cette propriété parmi les plus célèbres de Provence appartient à la famille Combard qui prend soin d’un large vignoble idéalement situé au pied du massif des Maures, en bordure maritime, sur des sols schisteux. Elle signe ce rosé ambitieux, assemblage de cinsault, grenache et mourvèdre, élégant par ses notes minérales, mais aussi gourmand par ses saveurs délicatement fruitées et sa large matière. Déjà délicieux, il gagnera à être attendu encore un ou deux ans, comme les nombreux rosés qui se destinent à la table.
26,60 euros

Vignobles Lorgeril, Ô de Rosé 2023, languedoc
Même dans une nouvelle bouteille sérigraphiée, le rosé signature de la famille Lorgeril n’a rien perdu des qualités qui font son succès sur les tables d’été. Issu principalement de parcelles situées le plus souvent altitude, cet assemblage dominé par le grenache (60 %), complété par de la syrah et une touche de viognier, donne un rosé précis et digeste, plaisant par ses saveurs de fruits blancs et jaunes (pamplemousse). On sent beaucoup de savoir-faire et une vraie maîtrise dans la vinification, étape cruciale dans l’élaboration des rosés élégants et subtils.
9,90 euros

Domaine de La Bégude, Thyrsus 2022, IGP méditerranée
C’est sans doute l’un des plus beaux domaines de France. Avec sa situation incroyable dans les hauteurs de l’appellation bandol, niché dans les contreforts boisés et faisant face à la Méditerranée, le vignoble de La Bégude est une mosaïque de petites parcelles qui ont chacune leurs spécificités de terroir. En plus d’élaborer des grands bandols dans les trois couleurs, le domaine propose ce rosé 100 % mourvèdre élevé quatre mois en amphores et élaboré selon des principes de vinification nature. Couleur soutenue, grande expression aromatique de fruits noirs et rouges, fines touches d’épices, parfums de garrigue, il régale par sa bouche éclatante de fruits et de gourmandise. C’est une autre manière de lire les terroirs bandolais, avec un vin plus immédiatement appréciable.
28 euros

Chêne Bleu, Le Rosé 2023, IGP vaucluse
Dans les hauteurs de Crestet, au cœur des contreforts du mont Ventoux qui domine le paysage, les Rollet ont créé l’un des domaines les plus extraordinaires du sud de la vallée du Rhône. Sur un vignoble tenu avec soin et avec des installations permettant d’assurer une vinification extrêmement précise, ils élaborent ce rosé de garde étonnant et toujours réussi. Contrairement à nombre de rosés, celui-ci s’appuie sur un assemblage issu de vignes assez âgées de grenache, cinsault et syrah, ce qui lui confère une certaine concentration et une intensité aromatique capable de tenir tête à une gastronomie distinguée. À boire dès à présent, mais bien meilleur avec quelques années de garde.
23 euros

Champagne Alexandre Bonnet, La Forêt 2020, rosé-des-riceys
Une fois de plus, nous ne résistons pas à recommander ce que propose ce domaine situé dans le joli village des Riceys, aux portes de la Bourgogne. La commune est d’ailleurs la seule de la Champagne viticole à pouvoir revendiquer trois appellations différentes (champagne, coteaux-champenois et rosé-des-riceys). Dans ce secteur, sur les sols marneux-calcaires du Kimméridgien, on peut ainsi produire à partir de pinot noir ce rosé de macération unique en son genre, très coloré et intense dans ses parfums, subtil et raffiné grâce à sa texture en bouche qui fait penser tantôt à celle d’un rouge, tantôt à celle d’un blanc. Production confidentielle, avec seulement 3 572 bouteilles produites, ce rosé est un vin à part que l’on pourra garder de nombreuses années en cave. Pour les plus impatients, un passage en carafe permettra déjà d’en profiter.
40 euros

Champagne Bollinger, La Grande Année 2015
Chez Bollinger, la sortie d’un grande-année est toujours un évènement qui présente une nouvelle version de sa cuvée de prestige en blanc et en rosé, ici dans le millésime 2015. Onze secteurs différents (dont 81 % sont classés en grand cru) entrent dans l’assemblage de ce rosé d’une grande intensité aromatique, extrêmement vineux, plein et profond en bouche, singulier par sa texture soyeuse et la présence d’une certaine forme de gras en bouche qui lui donne beaucoup de style et d’allonge. L’ensemble finit sur des notes d’agrumes et de zeste d’orange.
290 euros

Champagne Drappier, Grande Sendrée 2010
Installée à Urville, au cœur de la côte des Bar depuis 1808, la famille Drappier est très attachée à respecter son environnement et l’identité des cépages qui expriment ses sols issus du Jurassique kimméridgien. Elle propose des assemblages méticuleux, précis et sincères, à l’image de cette cuvée de prestige. Si un peu de chardonnay complète ici le pinot noir, cas unique parmi les champagnes de la maison, on retrouve dans ce rosé ce qui fait la force du style Drappier, c’est-à-dire de la vinosité, de la profondeur et de la rondeur sans jamais se départir de cette tension qui vient tout rééquilibrer. Délicieux aujourd’hui et grandiose après quelques années de garde.
90 euros 

Champagne Nicolas Feuillatte, Réserve Exclusive Rosé
Dans toutes ses cuvée et à tous les niveaux de la gamme, un champagne Nicolas Feuillatte répond toujours à ce que l’on attend, presque de manière universelle, d’un bon champagne. Entre fraîcheur apéritive et intensité vineuse, ce rosé séduira le plus grand nombre par ses petites notes de fruits rouges, ses arômes gourmands et éclatants de fraise, tout à fait dans un esprit festif, avec ce caractère digeste qui fait qu’une bouteille de ce délicieux rosé ne reste pas longtemps pleine. C’est le propre d’un bon champagne.
38 euros

Champagne Henriot, Rosé 2015
« Une création aux caractères robustes qui s’expriment avec éloquence », voilà comment Alice Tétienne, la chef de cave de la maison Henriot, décrit ce superbe rosé élaboré à partir de pinot noir et de chardonnay exclusivement en provenance de vignobles premiers et grands crus. Un long vieillissement en cave, supérieur à huit ans, lui permet d’afficher de la complexité aromatique, avec des notes intenses d’oranges et d’épices. La structure en bouche qui s’appuie sur des tannins d’une grande finesse en fait un vin de gastronomie plus qu’un champagne apéritif. Grande réussite qui force notre admiration.
83 euros

Champagne Laurent-Perrier, Alexandra 2012
Comment décrire le goût unique de cette cuvée de prestige ? Hélas encore trop méconnue des amateurs de grands champagnes, elle réunit pourtant tout le savoir-faire de la maison Laurent-Perrier qui assemble les meilleurs parcelles pour l’élaborer. Elle réussit ainsi à exprimer fidèlement le splendide millésime avec cette version riche, intense, généreuse mais aussi fine et délicate. La première gorgée d’un alexandra inscrit son goût dans la mémoire de qui en profite.
390 euros

Champagne Mandois, Victor 2012

Cette vieille maison familiale continue de se réveiller, portée par une jeune équipe dynamique et talentueuse qui accompagne les ambitions de Claude Mandois. Plutôt spécialiste des blancs de blancs par sa situation proche de la côte des Blancs, elle propose aussi quelques rosés de belle facture comme cette cuvée Victor. Ce millésime 2012, superbe en Champagne, s’appuie sur un assemblage largement dominé par le chardonnay (90 %), ce qui lui donne une texture assez profonde avec un fruité frais et élégant ainsi que de subtiles notes de noisettes grillées. Ceux qui aiment explorer de nouveaux territoires du goût pourront même l’essayer avec une viande, avec une sauce un peu épicée.
67 euros

Champagne Philipponnat, Royal Réserve Rosé
Cinq siècles plus tard et Philipponnat poursuit son histoire familiale en Champagne. Installée à Mareuil-sur-Aÿ, la maison n’a cessé de progresser sous la direction de Charles Philipponnat. Le vignoble est conduit en respectant les gestes essentiels pour le préserver. En cave, les fûts et les foudres donnent le ton et la signature du style complexe, riche et précis à l’ensemble des cuvées. Assemblage dominé par les cépages noirs, spécialité de la maison, ce champagne aux saveurs délicates de petits fruits rouges d’une gourmandise évidente est une référence de la couleur.
67 euros

Champagne Veuve Clicquot, La Grande Dame 2015
Chez Veuve Clicquot, le champagne rosé n’est pas une création récente. Dès 1818, madame Clicquot avait déjà eu cette idée pionnière d’associer à ses vins blancs un vin rouge unique issu de la parcelle historique Clos Colin, située à Bouzy, secteur réputé pour l’élaboration des vins rouges. Avec cette nouvelle version de sa cuvée de prestige, issue d’un millésime chaud, la maison réaffirme son savoir-faire en matière d’expression des grands pinots noirs qui trouvent dans ce rosé une dimension très verticale, inimitable et incroyablement profonde. Plus qu’un grand champagne, c’est un immense vin.
250 euros

L’Oregon, une nouvelle frontière

Photo Mathieu Garçon

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Dans la conquête de l’Ouest, la Californie et l’Oregon, deux états acquis ensemble par les États-Unis au milieu du XIXe siècle, ont participé au mythe national américain. Dans la conquête du vin en Amérique, les deux vastes contrées côtières du Pacifique ont vu à la même époque des pionniers planter les premières vignes. Un siècle plus tard, à l’heure de leur véritable développement, elles ont suivi des routes singulières, que des Français ont souvent croisées. Dès les années 1960, c’est un Bourguignon qui y fait figure de pionnier. Jean-Claude Boisset et aujourd’hui son fils Jean-Charles sont devenus des acteurs majeurs en Napa et en Sonoma. Ensuite, le vignoble californien a surtout attiré des Bordelais, tel Philippe de Rothschild à Opus One ou les Cathiard au domaine de Rutherford. François Pinault y a aussi fait une incursion en rachetant il y a dix ans Eisele Vineyard, dans la Napa. Plus récemment, le propriétaire du château Latour et du Clos de Tart est devenu celui de Beaux Frères en Oregon, domaine qui faisait partie de la corbeille lors du mariage d’Artémis Domaines avec Maisons et Domaines Henriot. Entre le bucolique état rural souvent dépeint comme la Bourgogne du vin américain et le vignoble bourguignon, le cousinage est étroit. Ils ont en commun les cépages, le pinot noir surtout, et une taille modeste. Avec 18 000 hectares, l’Oregon représente 1 % des vins produits aux États-Unis, un lilliputien face à l’ogre californien (85 %). Le voisin de la côte Ouest, Washington State, pèse trois fois plus et même l’État de New York, à l’autre bout du pays, le double. « Pourtant, nos vins et spécialement ceux de la Willamette Valley sont au cœur de beaucoup de conversations à l’heure actuelle », affirme la Beaunoise Caroline Bergström qui s’y est installée il y a vingt-cinq ans pour mener avec son mari un domaine très coté aujourd’hui.

Des vignerons formés en Bourgogne
L’intérêt pour l’Oregon a d’abord été affaire de curiosité, puis d’engouement au point que l’offre de vins ne suffit plus à satisfaire la demande. Une situation qui le rapproche encore, à sa mesure, de la Bourgogne. À proximité de la capitale Portland, dans les locaux de l’Oregon Wine Board, de grandes cartes de la côte de Nuits et de la côte de Beaune confirment l’inspiration. On y vante une « communauté d’artisans producteurs dédiés à la qualité » dont la moitié du millier de vignerons actuels serait passée par la Bourgogne : études à Dijon ou à Beaune, stage pour l’apprentissage des meilleures pratiques ou simplement accueil dans des domaines de la région. Véronique Drouhin a entrepris le chemin inverse en 1987, dans les pas de son père Robert et son diplôme d’œnologie en poche. C’était encore le temps des défricheurs, même si quelques excentriques avaient relancé la viticulture dès les années 1960. L’appellation Willamette Valley vient tout juste d’être établie, une soixantaine de domaines seulement sont en activité et Véronique va réaliser le premier millésime (1988) des Drouhin en Oregon. De fait, le premier d’inspiration française. « Il fallait y croire à l’époque, les Bourguignons sont arrivés beaucoup plus tard », se remémore-t-elle avec la fierté légitime des précurseurs. Trente-six ans plus tard, elle fait toujours trois séjours par an en Oregon et prépare la suite : « Mes enfants sont venus plusieurs fois, mais la prochaine génération ne semble pas encore séduite. Nous resterons propriétaires et nous rechercherons quelqu’un d’ici cinq ans, Français ou Américain, qui comprend notre philosophie et notre style de vins ». David Millman dirige au quotidien les opérations des différentes entités Drouhin, qui n’ont cessé de croître et dépassent largement le million de bouteilles produites à l’année. Son regard d’Américain sur ces Français est intéressant : « C’est vrai qu’il y a ici des similitudes avec la Bourgogne, que le pinot noir y a toute sa place, mais les sols et le climat sont en fait très différents. La famille Drouhin a surtout aimé la communauté des vignerons de l’Oregon, faite de domaines à taille humaine avec une forte identité et un esprit collaboratif, une communauté à laquelle elle a voulu appartenir ». Lui aussi a adopté cette région en quittant au début des années 2000 Los Angeles et l’industrie musicale, sa première vie. C’est le producteur Jay Boberg, fondateur du label IRS puis patron de MCA Records, grand amateur de vin, qui l’y a poussé. Ce dernier se trouve être un ami de trente ans de Jean-Nicolas Méo, depuis une rencontre fortuite à l’université de Pennsylvanie. « J’y étudiais et Jay passait par Philadelphie pour un concert », raconte le propriétaire du domaine Méo-Camuzet à Vosne-Romanée. « Il était déjà intéressé par le vin, mais c’est bien plus tard que nous avons concrétisé le projet Nicolas-Jay. »

Un modèle de vente directe
En 2011, les deux hommes se décident à explorer la Willamette Valley avec l’intention de sourcer l’achat de raisins sur les meilleures propriétés. En goûtant un jour les vins de Bishop Creek, ils craquent et rachètent le vignoble. Ils s’agrandissent en 2019 dans les Dundee Hills, le secteur le plus prisé, pour planter et bâtir des installations techniques. Une coquette maison de bois, ancienne étable au creux d’un vallon transformée avec goût en salle de dégustation, accueille les visiteurs. « L’œnotourisme, accompagné d’un wine club, c’est la clé ici aussi », assure Jean-Nicolas Méo. « On doit prendre de la Californie pour la qualité des infrastructures, mais proposer une expérience différente, qui peut ressembler là-bas à Las Vegas. Le journal USA Today a classé l’été dernier notre tasting room dans le Top 10 national pour son côté intimiste. » La visite (sur réservation) est souvent le préalable à l’adhésion au wine club. Un modèle de vente directe recherché pour contourner le coûteux système de distribution américain. Depuis son ouverture en 2021, celui du domaine Nicolas-Jay, baptisé The Confrérie, a recruté plus de 600 membres avec deux propositions : Premier cru à 1 000 dollars et Grand cru à 2 000 dollars pour une ou deux caisses de vins par an. L’objectif est fixé à 1 500 adhérents, le niveau moyen en Oregon, quand la Californie dépasse souvent les 3 000. « Aujourd’hui, le DTC ou direct to consumers représente 40 % de nos volumes. Autant que la restauration et un réseau sélectif de cavistes. Les 20 % restants vont à l’export », précise Jean-Nicolas Méo. Au domaine Beaux Frères, le même sens de l’accueil et du commerce cohabite avec une rusticité plus affirmée encore. Créé en 1986 dans les Chehalem Mountains par le critique Robert Parker et son beau-frère Michael G. Etzel, et désormais propriété de François Pinault, l’endroit est resté dans son jus. Son ambiance de ranch décontracté a participé, autant que le pedigree de ses fondateurs, à la réputation de ses vins qui figurent parmi les plus recherchés et les plus onéreux (entre 100 et 200 dollars la bouteille). « Nos cinq mille visiteurs ont souvent goûté pour la première fois nos vins dans de grands restaurants, ils sont surpris quand ils découvrent le lieu. Et ceux qui reviennent nous disent que rien n’a changé depuis dix ans. Dans dix ans, cela n’aura pas changé davantage », sourit Jillian Bradshaw, la responsable des ventes et du marketing. Artémis Domaines ne devrait pas toucher à un ADN qui a fait le succès de Beaux Frères : « La même approche sera poursuivie ici, pas de tapis rouge mais de l’authenticité ». Le travail y est bien fait, en bio et biodynamie, avec pépinière, greffage à demeure et sélection massale pour les dernières plantations de 6,5 hectares.

Pas tout à fait la Bourgogne
Cette combinaison de respect des meilleures pratiques culturales, de modestie dans la définition des vins, de solidarité communautaire et d’accueil bienveillant fait la singularité séduisante de l’Oregon dans le paysage américain. « Notre éducation bourguignonne a souvent guidé notre approche de la viticulture et du travail en cave, mais notre but est de façonner des vins qui représentent bien notre région », précise Caroline Bergström, à la tête de 28 hectares avec son mari Josh, qu’elle a rencontré à Beaune en 1998 alors que celui-ci était venu y étudier. « Nous nous sommes installés dans la Willamette Valley dès l’année suivante », se souvient-elle. « Nous représentons la troisième vague de vignerons et nous avons été conseillés au fil des années par nos voisins. Cet esprit de collaboration est très typique de l’Oregon. » Bergström Wines occupe une place enviée aujourd’hui, en pointe sur la viticulture biodynamique et régénérative, avec une affinité pour le chardonnay : « Josh prêche depuis des années qu’il est aussi important que le pinot noir. Notre nom est peut-être plus connu pour nos chardonnays, qui ne représentent que 20 % de la production ». Aventure individuelle ou projet d’envergure, ce constat est de plus en plus partagé. « Nous sommes persuadés qu’il y a beaucoup de développements possibles au-delà du pinot noir », assure Thibault Gagey, le directeur général de Louis Jadot, à l’origine en 2013 de la première incursion hors de son territoire de la grande maison beaunoise. « Quand nous avons visité Résonance Vineyard avec Jacques Lardière à l’époque, un endroit unique avec huit hectares de vignes en franc de pied, nous avons senti tout de suite ce sens du lieu très important en Bourgogne. » Agrandie depuis avec le bien nommé vignoble Jolis Monts, la propriété est restée splendide : des vignes en amphithéâtre, une colline boisée et au sommet, une grange chic pour l’accueil des visiteurs. Guillaume Large en assure la direction sur place. Originaire du Mâconnais, il en retrouve les paysages vallonnés. « Cela fait partie des similitudes avec la Bourgogne, mais les différences dominent », précise-t-il. « Les sols sont plus jeunes ici, la saison sèche commence dès le mois de mai. Il y a peu de pression des maladies, de l’oïdium seulement. Enfin, nous n’avons pas les mêmes densités et les mêmes surfaces foliaires. »

Le chardonnay réinventé
Avec des acquisitions en Dundee Hills et Eola-Amity Hills, la maison Jadot a étendu son emprise sur 56 hectares dont 28 % de chardonnay, cultivés en bio, avec un potentiel supplémentaire de 40 hectares. Ce qui n’empêche pas l’achat de raisins et l’expérimentation à petite échelle : une parcelle d’un demi-hectare a été plantée en franc de pied et haute densité. « C’est un projet que nous avons lancé en 2020 dans l’idée d’en faire une sorte de clos », explique le directeur. « Nous voulons être sûrs de ce que la vigne va donner, mais l’objectif serait de réaliser une cuvée haut de gamme. » Encore neuf sur la carte de l’Oregon, le domaine est entré à la neuvième place du Top 100 des vins de l’année du Wine Spectator avec son pinot noir Résonance 2021. Son prix, 40 dollars, est très abordable même si les autres références restent dans la moyenne locale élevée. « En dix ans, le vignoble a gagné en notoriété et réputation », insiste Thibault Gagey. « Et les Américains sont prêts à payer pour des bons vins. » La production de l’Oregon bénéficie aussi de la mutation du marché américain. Après quarante ans de croissance, celui-ci devient mature et suit une trajectoire bien connue : les volumes baissent (-5 % en 2023 selon la WSWA, l’union des grossistes) sauf sur le haut de gamme, à partir de la tranche supérieure à 15 dollars la bouteille. Une sorte de « moins mais mieux » à la sauce US, couplé à la recherche de vins plus fins et plus légers. Ce darwinisme vinicole favorise l’Oregon, dans le cœur des nouvelles tendances et dans la cible très haute des prix (entre 50 et 100 dollars). D’autant que la désaffection des consommateurs porte sur les rouges, mais pas le pinot noir, et que les blancs se maintiennent avec un retour en force du chardonnay. « L’Oregon réinvente le chardonnay américain, plus minéral et plus racé que le californien. D’ailleurs entre les deux vignobles, c’est un peu le yin et le yang : le terroir contre les marques, la ruralité contre les grands espaces », relève Jean-Baptiste Rivail qui dirige Ponzi Vineyards, racheté par Bollinger en 2021. La maison d’Aÿ apporte tout son savoir-faire à un domaine iconique devenu trop statutaire, avec le besoin de reprendre sa distribution. Elle compte pour cela sur ce connaisseur expérimenté des États-Unis qui y a développé les ventes du cognac Hennessy pendant quatre ans avant de prendre la direction de Newton, propriété en Napa de LVMH détruite par les grands incendies de 2020. « L’amateur s’est rendu compte il y a cinq ans seulement de la qualité exceptionnelle des vins d’Oregon, qui ont un très bel avenir », assure Jean-Baptiste Rivail. Ponzi Vineyards a acquis une cinquantaine d’hectares à planter dans la proximité du Pacifique, en se donnant le temps propre à la méthode Bollinger.
Avec la hauteur que lui confère le statut de figure historique dans sa région de cœur, Véronique Drouhin vient d’accueillir dans les Dundee Hills les douze familles de Primum Familiae Vini, le club cofondé par son père qui réunit les propriétaires de domaines familiaux parmi les plus prestigieux au monde. Une forme de reconnaissance doublée d’une grande confiance dans le futur de l’Oregon : « Ce vignoble restera tel qu’il est, de taille modeste et sur un positionnement haut de gamme. Tout le monde ici ne cherche qu’à faire beau et bon. »

« French Cancan, c’est l’état d’esprit d’une France joyeuse »

French Cancan est votre dernière création, qu’est-ce que c’est ?
C’est l’aboutissement d’un travail mené par mes équipes depuis plusieurs années. Nous avons commencé par sélectionner des vins de réserve. Nous avons ensuite associé les techniques de vinification traditionnelle et ancestrale avec celles modernes d’aujourd’hui. Pour aboutir à ce résultat, nous avons aussi sélectionné des vignes et des terroirs cultivés en agriculture biologique et nous avons retenu des vignobles situés dans des terroirs propices à la production de vins effervescents, notamment ceux situés aux pieds des Pyrénées et dans les Cévennes.

Avec quels cépages ?
Nous avons utilisé des cépages intéressants pour les effervescents comme le chardonnay et le pinot noir. Et pour donner une certaine typicité, nous avons choisi quelques cépages locaux et méditerranéens indigènes comme le grenache blanc, le viognier et le cinsault. La gamme French Cancan est élaborée à partir du cœur de cuvée ou de la première presse, là où se trouvent la noblesse et la pureté d’un vin. Ensuite, nous avons fait un élevage sur lie pendant plusieurs mois pour parfaire la texture et affiner les arômes avant d’opter pour un dosage zéro afin de mettre en valeur la qualité des raisins sélectionnés.

Pourquoi ce nom ?
Charles Trenet qui est de Narbonne et Toulouse-Lautrec qui a vécu vingt ans au château de Sevran à côté de Narbonne étaient aussi amoureux de Montmartre. Ces grands artistes français et leurs parcours nous ont inspirés dans nos choix.

Et pourquoi maintenant ?

Dans les temps un peu difficiles que l’on vit en France et dans le monde, il est important de se rappeler d’où l’on vient. L’esprit de cette gamme French Cancan est celui d’une France joyeuse, sûre d’elle, insouciante et impertinente. L’incarnation aussi du sud de la France avec cette volonté de pouvoir simultanément régaler les gens et être dans l’excellence. En bref, l’art de vivre comme nous le pensons et comme nous l’aimons.

La gamme French Cancan
19,90 euros (la bouteille)
Disponibles chez les cavistes Nicolas, les Bateaux Parisiens, les brasseries du groupe Bertrand, les restaurants Hippopotamus, au terminal 2 de l’aéroport de Roissy ainsi qu’en grande distribution.

Les piliers de la terre de Cantenac-Brown

Photo Mathieu Garçon

Permettons-nous d’émettre un jugement personnel, partagé d’ailleurs par l’ensemble de notre équipe, à propos des nouvelles infrastructures du château Cantenac-Brown : il s’agit peut-être du plus beau chai au monde. Cette propriété de Margaux n’en avait pas besoin pour être considérée comme l’une des plus remarquables du Médoc. Il y avait déjà ce magnifique château de style Tudor, témoin des origines écossaises de John Lewis Brown, le fondateur de ce cru classé en 1855. Il y avait aussi ce parc à l’anglaise datant de 1806, exceptionnel par ses dimensions et sa beauté, avec ses grands arbres majestueux, son petit étang plein de charme et ses nombreuses dépendances qui forment un petit hameau à l’extrême nord du plateau de Cantenac, l’un des plus qualitatifs parmi les terroirs margalais. On comprend bien que la famille Le Lous, propriétaire du château depuis 2019 ne s’est pas lancée dans un chantier aussi monumental pour des raisons esthétiques. En 2021, pour le supplément vins et spiritueux du Journal du Dimanche, Tristan Le Lous, ingénieur agronome et passionné de vins qui représente sa famille dans la gestion de la propriété, nous détaillait ses ambitions : « L’idée est de viser le plus haut niveau possible en termes de qualité environnementale. L’un des éléments importants à prendre en compte (…) était de ne pas utiliser de ciment dans la construction. À lui seul, le ciment est responsable de 20 % de la production de gaz à effet de serre dans le monde. Nous sommes donc obligés de construire avec des matériaux alternatifs, en l’occurrence de la terre, avec une construction en pisé qui consiste à piler à la main de la terre pour la solidifier ». L’annonce de ce chantier inédit avait attiré la lumière sur un cru qui avait pour habitude d’être plutôt discret et suscité de nombreuses attentes envers cette marque qui évolue dans un univers de concurrence très fort. Trois ans plus tard, en prenant la mesure de ce qui a été réalisé, l’effet escompté est sans doute décuplé tant ce chai entièrement construit en bois brut et en terre crue est une merveille architecturale.

Un travail d’équipe
Pour la réaliser, la famille Le Lous a pu compter sur deux grands artisans. D’abord, Philippe Madec, architecte pionnier en matière de projets écoresponsables. La contrainte donnée par la famille était de taille : réaliser ce nouveau chai uniquement avec des matériaux biosourcés, naturels et non traités, en provenance de la région Nouvelle-Aquitaine afin de limiter le bilan carbone d’une telle construction. Pour se passer de ciment, il a donc eu recours à la technique du pisé qui consiste à compresser de la terre afin de la solidifier. L’inertie thermique donnée par ces nouveaux murs d’enceinte larges d’un mètre par endroits permet aussi d’éviter le recours à la climatisation. « Faire mieux avec moins », résume Tristan Le Lous. L’autre grand monsieur de cette réussite s’appelle José Sanfins. Ce Médocain d’origine portugaise a passé son enfance sur une île de l’estuaire. Il aime la presqu’île, sa lumière, ses habitants. Fils de vignerons (il a encore un peu de vignes au Portugal en plus d’une jolie propriété à Margaux, le château Chantelune), l’homme est la mémoire de Cantenac-Brown, présent sur place depuis 1989. S’il a connu plusieurs gouvernances, dont celles d’Axa Millésimes, le projet de la famille Le Lous a trouvé en lui de quoi s’enrichir. Avec son expérience, son bon sens et son humilité, José Sanfins a suivi chaque étape du chantier et accompagné les différents corps de métiers et les ouvriers souvent locaux qui ont participé à la construction. Vinificateur de talent, il a aussi insisté pour avoir un outil technique ultra performant afin de pouvoir donner le meilleur du potentiel du terroir et révéler avec encore plus de panache et plus immédiatement la force des grands cabernet-sauvignon, ce qui est le cas avec l’excellent vin du millésime 2023 présenté cette année en primeur. Concrètement, l’outil a complètement été revu. Cantenac-Brown s’est d’abord doté d’un nouvel espace de réception de la vendange, récemment agrandie avec les acquisitions du château Charmant et du château La Galiane, lui permettant de trier avec plus de soin les raisins issus de ses 75 hectares de vignes.

Une charpente pour l’avenir
Tout l’itinéraire technique s’effectue ensuite par gravité, comme l’acheminement des baies jusqu’aux nouvelles cuves tronconiques, dont l’intérieur est recouvert d’une couche d’inox poli miroir, nécessitant deux fois moins d’eau lors de leur nettoyage. Soixante-dix cuves de 50 à 120 hectolitres contre trente-trois auparavant permettent à l’équipe technique de vinifier séparément chaque parcelle. Moments décisifs dans la vinification, remontages et écoulages ne nécessitent plus aucune pompe grâce à quatre cuves élévatrices qui assurent tous les transferts de vin. Enfin, que dire du au chai à barriques ? Qui le découvre ne peut rester indifférent devant le spectacle de sa charpente majestueuse en bois massif, digne des plus belles forêts de cathédrale. En forme de coque de bateau renversé, elle a été assemblée par des Compagnons du Devoir. Une fierté pour José Sanfins que « cet ouvrage qui, en plus de profiter au vin de Cantenac-Brown, montre aussi la qualité et le savoir-faire de l’artisanat français ». Tout, par ailleurs, dans ce nouveau chai silencieux, a été pensé avec soin en gardant à l’esprit qu’il s’agissait d’un endroit de travail et qu’il devait répondre aux défis exigeants posés par l’élaboration des grands vins, notamment en ce qui concerne les conditions de ceux qui y travaillent. La propriété, qui produit trois vins (en plus de son grand vin, un deuxième nommé Brio et le blanc Alto), a vu les choses en grand pour basculer dans une autre dimension sans renier son identité ni s’éloigner des objectifs du projet initial : s’engager vers l’avenir via une voie d’excellence à la hauteur des attentes des consommateurs en matière de développement durable. Sans aucun doute, le projet inspirera d’autres vignobles, partout dans le monde. Tant mieux, c’est tout Bordeaux qui en sort grandi et plus brillant que jamais.

Ostiane Icard, le visage du mythe


Retrouver cet article dans En Magnum #36. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Importateurs, cavistes, bien d’autres encore, voient Éloi dans son visage. Il est là, dans les traits sans doute, dans cette rondeur pouponne dégagée par une queue de cheval et égayée par deux grands yeux couleur noisette. Dans les expressions bien sûr, comme toutes les filles qui ressemblent terriblement à leur papa. Pour Ostiane, Éloi n’est jamais vraiment parti. Le créateur du domaine de Trévallon est là, comme il était là avant sa mort soudaine entre la cave et la fontaine de la cour, en novembre 2021. « On n’avait pas besoin de parler », raconte-t-elle, loquace et enjouée. « J’ai appris en l’écoutant parler aux clients, au banquier, aux employés. Je crois que j’ai pris une partie de sa personnalité. » Une relation exceptionnelle, faite de silences complices et de confiance mutuelle : « Je m’en suis rendu compte après l’avoir perdu. Il disait qu’il fallait accepter les choses que l’on ne maîtrise pas ». Dans le mas entouré de platanes vit désormais seule sa mère, Floriane. Ostiane s’est installée avec son mari et ses deux enfants, Lauriane, 12 ans, et Lilian, 9 ans, dans un cocon à quelques kilomètres de là. Des trois enfants des Dürrbach, c’est elle qui a mordu à l’hameçon, très jeune, même si Isoline et Antoine restent très attachés au domaine familial. Elle goûtait volontiers, passait son temps à la cave, étiquetait et enveloppait les bouteilles du précieux papier de soie. Elle s’est formée en commerce et en jobs variés qui lui ont donné de l’expérience pour ce métier multitâche. En 2009, elle a 24 ans, elle se sent mûre : « Papa était ravi que je revienne. Il venait de rompre avec son importateur américain, Kermit Lynch, et avait besoin d’aide ». Elle est habitée par ses grands-parents, les artistes René et Jacqueline Dürrbach, qui avaient donné la terre où tout a commencé, dans les années 1970. « Ils m’ont transmis la patience, l’écoute, la connexion de l’art à la nature, à la matière, aux éléments naturels, au mariage plante, terre, bois. » Nous faisons le tour du domaine. Les treize hectares sont morcelés entre trente-cinq parcelles que la jeune femme me décrit par le menu. À chaque tournant se trouve une nouvelle vigne avec son cépage, sa personnalité propre, chaque pied unique issu d’une sélection massale orchestrée par le pépiniériste Lilian Bérillon.

Une simplicité biblique
Le Gaudre, ruisseau qui court entre les communes de Saint-Etienne-du-Grès et de Saint-Rémy-de-Provence, sépare aussi le mas Chabert – où se dore essentiellement la syrah – des vignes de Trévallon. Là s’enchaînent des poches de calcaire plantées de cabernet-sauvignon, mais aussi une parcelle de cinsault car « c’est le moment de ce cépage », déclare Ostiane, trois cents pieds de muscat, « la touche d’épice pour le blanc », jubilait Éloi, et plus loin encore, le chardonnay. La vigneronne est soucieuse du réchauffement climatique qui menace Trévallon malgré la fraîcheur naturelle apportée par la pinède et les chênes blancs des Alpilles. Elle veille sur chaque cep, surveille la moindre faiblesse ou signe d’esca. Plus le temps avance, plus elle arpente les rangs et s’adonne à la taille, là où « tout se passe ». Dans la fraîcheur de la cave, elle aime aussi s’immiscer et décider, épaulée par son frère Antoine. Elle a, là aussi, gardé la philosophie paternelle, celle qui gagne et qui a fait la force de Trévallon dès ses débuts, en 1973. Un seul vin rouge, un seul, ni second vin, ni cuvée spéciale. Tout dans 45 000 bouteilles bon an mal an, 3 000 magnums dès les années 1980, 300 jéroboams (3 litres), 60 impériales (6 litres) depuis 1995. Syrah et cabernet-sauvignon à parité, envers et contre l’AOC baux-de-provence qui interdit, depuis sa création en 1995, l’utilisation de plus de 25 % du cépage bordelais. Passé de la dénomination vin de pays des Bouches-du-Rhône à celle d’IGP alpilles aujourd’hui, le vin se fiche de ces querelles imbéciles. Il s’offre, grandiose, dans ce terroir magique taillé à coup de dynamite et de convictions pour donner vie à des rouges subtils, d’un rare équilibre et qui se savourent après des années de garde. Elaboré dans une simplicité biblique, il ne connaît ni égrappage, ni soufre (sauf après malo et à l’embouteillage), à peine un contrôle de température, une lampée de soutirage, un long vieillissement en foudre, une clarification au blanc d’œuf, pas de filtration. Changera-t-elle le style des vins d’Éloi ? « Les vignes évoluent, le climat change », reconnaît-elle. « Inévitablement, on fait moins d’extraction qu’avant, les vins gagnent en finesse et élégance. » Est-ce dû à l’âge des vignes ?, questionne-t-elle avec raison. Il est encore tôt pour le dire.
Le 2012 se livre, très élégant, à point, nourri de patience et de réserve, ciselé par le calcaire et la garrigue. Quant au blanc 2022, confidentiel, il mêle agrumes, fleurs et verveine dans un bouquet puissant et bougrement rafraîchissant.